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lundi 6 octobre 2008

Ne pas confondre "mise en abyme" et "mise au ban"

"Le prof de français suspendu" : Suite.

Rappel des faits : la très dévote académie de La Réunion, par la voix de son recteur, suspendait la semaine dernière, et sur la "demande" d'un parent d'élève, l'un de ses enseignants (de La Possession). L'enseignant en question avait osé présenter à ses élèves une nouvelle de l'écrivain Raharimanana ("Le canapé", Rêves sous le linceul, 1998) qui mentionnait l'onanisme (qui n'est par d'ailleurs pas un péché, et qui n'est pas non plus interdit par la loi...). La chose a fait du bruit, et pour cause : cela ressemble à s'y méprendre à un mal-entendu... L'onanisme rendrait-il - vraiment - sourd ? Sourd en tout cas à la chose littéraire : ni le parent, ni l'Institution n'auraient perçu la métaphore présente dans le texte ?!

Je ne m'étalerai pas sur le sujet, un papier a déjà été fait sur Clicanoo (cliquez ici). En revanche, je vous propose de lire ci-dessous les mots de la personne concernée, Raharimanana, qui répond aux questions d'une journaliste du Quotidien de l'île :

- Quels ont été vos sentiments lorsque vous avez appris que l'étude d'une de vos nouvelles , "le canapé" a déclenché une polémique dans un lycée de la Réunion ?
Je ne peux pas feindre la surprise, le sujet est difficile : le Rwanda et ses massacres, la femme violentée dans sa chair lors des exterminations de masse. Je sais bien que l'ensemble du recueil de "Rêves sous le linceul" provoque le malaise. Mais pour ma part, c'est entièrement assumé. Je mets des mots sur l'obscenité du monde, sur le scandale des génocides, sur nos silences lâches jouissant de vivre dans des pays dits "nantis", "opulents", "civilisés", sur le spectacle du monde vu à travers la lucarne de la télé. J'étais juste surpris que ce livre revienne en force en ce moment (la publication date quand même de 1998). Mais peut-on vraiment s'étonner dans la mesure où aujourd'hui, une certaine pensée dominante portée par le pouvoir en place se ferme de plus en plus et revisite l'histoire à sa manière ? Je crois juste qu'une censure, au fond, ne fait jamais de mal à un livre, au contraire.

- Le rectorat juge votre texte "tendancieux, polémique et provocateur". Qu'en pensez-vous ?
Le rectorat parle-t-il d'une même voix ? J'ai cru comprendre il y a quelques années qu'il y avait eu un projet d'un livret pédagogique pour ce même livre, et ce par le même rectorat... Je ne vais justement pas entrer dans cette polémique stérile. Le rectorat déplace la question sur un autre terrain, je parle littérature et du scandale du monde -le génocide rwandais et autres atrocités mémorables, le rectorat va sur le terrain de la bienséance, de la morale, du politiquement correct. Nous ne parlons pas du tout de la même chose. L'école n'est-elle pas justement le lieu où les lectures du monde doivent survenir ?

- Plus que le texte en lui-même, le rectorat reproche au professeur sa démarche: il a demandé à ses élèves d'étudier ce texte seul chez eux. A-t-il commis une erreur de méthodologie ?
Plus que la censure, ce qui me dérange profondément, c'est que le rectorat ait pris cette décision après une plainte d'un parent... Société de délation ? Mais quel pouvoir donne-t-on à ce parent d'élève ? A-t-il plus de compétence que ce professeur en matière d'enseignement ? Quelle est la confiance qu'on accorde à nos professeurs ? Ne peut-on pas se fier au professionnalisme de cet enseignant ? Il connait ses élèves. Il a sa méthodologie. Il prépare ses cours. Ce n'est pas à moi de dire s'il a fait une erreur de méthodologie ou pas. Je suis écrivain, pas inspecteur de l'éducation nationale.

- Des élèves de seconde, âgés en moyenne de 15 ans, sont-ils assez armés pour comprendre le message contenu par ce texte?
L'école forme des enfants à comprendre le contenu des textes. L'âge ne signifie rien en soi. Il y a des enfants qui comprennent plus tôt que d'autres. Et je ne pense pas qu'ils soient aveugles ces enfants à qui ce professeur a donné ce texte, ils savent que le Rwanda a existé, que la Shoah a eu lieu, il y a l'Irak, il y a l'Afghanistan, la Palestine... ils savent que le monde des adultes est scandaleux, que des crimes se perpetuent dans le monde et que beaucoup d'adultes ferment les yeux. La censure est une initiation pour être un homme sociable parfait et respectable. A 15 ans, je pense qu'on peut comprendre ce texte. Quel adolescent n'a pas eu ses lectures interdites ? J'ai lu "J'irai cracher sur vos tombes" de Boris Vian à 13 ans. Le drame, c'est qu'on a vidé d'idées la tête de nos enfants. Leur donnons-nous assez de lectures, assez de livres ? Et ces parents qui se scandalisent pour tel ou tel livre, ne pouvaient-ils pas en profiter pour aborder le sujet avec leurs enfants ? Partager un peu de la lecture du monde, de la vie, avec leurs progénitures. Ont-ils assez lu ? Ouvrent-ils assez les yeux ?

- Aujourd'hui le prof suspendu s'expose à une sanction pouvant aller jusqu'à l'exclusion définitive. Jugez-vous qu'elle serait excessive?
C'est là le scandale pour moi. Quel serait le motif ? Faire lire un livre serait un crime ? Ce serait très grave et très significatif comme message. Le rectorat a-t-il réellement ce droit ? Ce serait pour le coup une réelle injustice. L'année dernière, j'ai été en résidence d'écriture dans un lycée de Saint Denis (93) en métropole. Les professeurs ont fait lire entre autres mon recueil "Rêves sous le linceul". C'était une résidence d'écriture en concertation avec l'éducation nationale. Dans nos latitudes océanes, on n'aurait donc pas le droit d'aborder certains sujets ? Deux poids, deux mesures ? A Madagascar, le régime qui prenait le pouvoir avait brûlé la bibliothèque familiale en 2002 (voir mon livre L'arbre anthropophage), aujourd'hui, dans un pays démocratique -vraiment ? la France, je suis confronté à la même question : faut-il brûler les livres ?

> Auteure de l'entretien : Valérie Goulan, lundi 6 octobre 2008.
> Sources : Le Blog des éditions K'A / Le Quotidien de La Réunion du 08/10/08

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Onanisme , branlette etc...

En France je ne sais plus dans quel tribunal c'est un magistrat qui avait été suspendu pour cause de branlette, visiblement chez celui-là le sort du mis en examen ou de l'accusé ainsi que la plaidoirie des avocat n'avaient pas l'air de beaucoup le préoccuper.
Et si se magistrat passait pour un du genre "dur coup de trique" :-D :-D :-D au moment du jugement imaginons le ridicule de ce digne représentant de la Justice ainsi confondu par une greffière chôquée de le voir ainsi s'adonner à la branlette pendant les délibérations du dit tribunal.

Et qui n'a pas lu les toutes derniers mémoires de Soeur Emmanuelle, ô combien intouchable et pieuse icône nationale, qui racontant ses souvenirs de jeunesse évoquait sa quête et les joies secrêtes du plaisir solitaire(celle-là l'Eglise ne l'a sans doute pas vue venir non plus, ce sera dur de la canoniser maintenant).
Un petit blâme suffit, à quoi bon suspendre un enseignant qui fait lire de grands ados qui en savent bien plus qu'on ne croit.
Baudelaire aujourd'hui dans les programmes était interdit il ya un siècle.

Evidemment on ne va pour autant conseiller aux enseignants de faire lire à leurs élèves "Les Onze Mille Verges" de Guillaume Apollinaire ou "l'Arétin Français" (avec illustrations à l'appui) ou certains passages du divin Marquis, même si la qualité de cette prose est par ailleurs tout à fait remarquable.

Kèl Kozman ? / Quelle parole ?

Entre l'île de La Réunion, Paris, et bien d'autres lieux dans le monde, je vous propose, via ce petit blog, de découvrir quelques artistes, publications, événements, etc. qui se rapportent tous à la culture. Une culture alter-..., c'est-à-dire, une culture différente, qui ne se découvre pas dans les magasines pipoles ou dans les écrans des tévés - ni même sur les affiches publicitaires - mais une culture qui tisse des liens entre les humanités, qui vit et que nous faisons vivre de manière originale et singulière dans nos quotidiens respectifs, à travers le monde, à travers les mondes : francophones, créolophones, etc.

Au plaisir de vous rencontrer lors d'une manifestation ou dans l'un des ateliers présentés,
Bien à vous,


Stéphane Hoarau.